Dans la veine de la plupart des criminels importants de Batman TAS, Lloyd Ventrix n'a rien d'un braqueur sans relief. Pourtant, son fantastique pouvoir, qui tranche avec la majorité de ceux rencontrés dans la série, suffit à faire de lui un ennemi impressionnant. En effet, que ce soit en protagoniste de thriller sous l'avatar de Mojo, ou en ennemi spectaculaire capable de briser la menace Batman, l'invisible Ventrix s'imprime durablement sur nos rétines.
Mais L'Homme invisible nous le dépeint aussi comme un homme pathétique soumis à une idée malsaine pour visiter sa fille, et comme un personnage enrichi de zones d'ombre qui en même temps lézardent et constituent son background. L'empathie que l'on peut lui porter souffre en conséquence d'un équilibre précaire. Pis encore, elle ne peut que peiner à s'épanouir dans la mesure où, contrairement à Harvey Dent ou Matt Hagen, il n'y a pas de processus d'identification proposé au téléspectateur, à la fois à cause du cruel manque de qualités démontré par Ventrix, et parce que la rupture qui le fait chavirer vers la violence teintée d'audace intervient trop tôt - à savoir lors de la première scène, durant laquelle, en plus, on ne découvre ni son image ni tout à fait ses intentions.
Toutefois, apprendre lors du climax de l'épisode que sa fille ne connaît même pas les traits de son père nous fournit la meilleure occasion de le prendre en pitié. Laquelle culmine avec le rappel de Batman concernant la toxicité de la combinaison, peut-être capable d'avoir détérioré l'esprit de Lloyd. Cela dit, on peut supposer que sa détermination à reprendre coûte que coûte une place dans la vie de Kimberly (une psyché symbolisée par un chez lui dépouillé que seule égaye une photo souriante de sa fille) avait muri déjà derrière les barreaux. D'ailleurs, nuance de taille, les scénaristes avaient d'abord pensé la dangerosité du plastique expérimental non pas en termes d'empoisonnement mais d'explosivité. Il n'empêche qu'il n'est pas dit que Lloyd Ventrix ait projeté directement de kidnapper sa fille ; sa tentative de renouveler une liaison avec Helen atteste même de son souhait, peut-être juste tactique, de (re)former une famille. Mais la maladresse dont il fait preuve, voire le culot puisqu'il est en liberté conditionnelle, raconte l'ampleur de son égoïsme et de son inadaptation sociale.
Ce trop plein de défauts, sa prédation à l'endroit de Kimmy et sa transformation en homme transparent figent le malfaiteur en méchant de conte. Et plus exactement en version moderne, science-fictionnelle, du Loup du Petit Chaperon rouge. Effectivement, sa fille incarne l'innocente tête blonde, guettée par lui, le Mal ingénieux, calculateur, sans scrupules. En outre, son obsession pour Kimberly se traduit visuellement par ses yeux rouges, la couleur associée au duo féminin Ventrix. Aussi, alors que l'histoire ancestrale s'interprète parfois comme une mise en garde pour les enfants à propos des pédophiles du monde extérieur, l'épisode dessine, pour une deuxième lecture, le contexte de l'inceste exercé au sein du foyer. Toujours dans l'esprit conte, la scène où Lloyd offre une canette rouge à la mère de son enfant, d'autant plus qu'il y joue le rôle de l'homme devenu honnête, évoque celle de Blanche-Neige, quand la sorcière déguisée en paysanne donne une pomme rouge empoisonnée à l'héroïne.
On peut également y comparer le brun ténébreux avec l'homme invisible, anti-héros éponyme du roman de H.G. Wells, qui a sûrement inspiré les scénaristes de l'épisode. Il faut dire qu'en dehors de leur invisibilité, Lloyd Ventrix et Jack Griffin partagent de nombreux points communs : des pupilles rouges (le second étant albinos) ; une personnalité détestable ; des vols ; et une témérité face aux produits périlleux pour atteindre à tout prix leur but, qui progresse vers une aveugle autodestruction.
Que « Floyd Ventris » ait été changé en « Lloyd Ventrix », lors de l'élaboration du sus-nommé personnage, n'est certainement pas dû au hasard. D'abord, le remplacement du S par X renvoie peut-être aux mystères qui habillent Lloyd et provient sans doute des rayons X dont le livre de 1897 exploite la découverte et qu'utilise Floyd Ventris pour photographier le visage de Bruce Wayne derrière le masque de Batman. Cette modification a l'avantage d'embrasser la tradition de donner à un vilain du Dark Knight un patronyme en concordance avec sa caractéristique première, tel qu'on le constate chez Harleen Quinzel, Victor Fries ou Edward Nygma. Ensuite, la transposition du DCAU s'éloigne tellement du modèle original que l'équipe artistique a probablement préféré les dissocier via leur nom. Et l'hypothèse gagne du crédit quand on pense que d'autres créations du DCAU ont connu plus tard le même traitement, comme Kala In-Ze pour Alura In-Ze, et Gsptlsnz pour Gzptlsnz. Mais ne nous y trompons pas, malgré le fossé entre Ventris et Ventrix, les racines de ce dernier plongent en partie dans le substrat du premier Mirror-Man. Pour s'en convaincre, il suffit de comprendre que l'essence des deux personnages converge vers tout ce qui a trait à la lumière.
Ainsi, les éblouissements, les diamants, les lunettes et autres miroirs gravitent autour d'eux. Et puis l'aspect conte existait déjà chez Floyd Ventris, qui demande à son miroir « qui est le plus intelligent des escrocs ? », et vole un exemplaire de la première édition de De l'autre côté du miroir.
Aussi, à bien y réfléchir, le Lloyd Ventrix invisible pourrait revendiquer le titre de Mirror-Man car, lorsqu'il affronte pour la première fois Batman, il représente le reflet du héros tel que celui-ci est face à ses opposants : un adversaire nocturne armé de gadgets, insaisissable et imbattable, donc terrifiant. Sans oublier que la photo du journal liée à ce tour de force, qui expose un policier hébété, est un clin d'œil à la perplexité des forces de l'ordre devant les bandits passés à tabac, dans l'introduction de BTAS.
En outre, il est intéressant de noter que la (non)apparence de Ventrix entre en écho avec l'état de sa vie, vide de son inexistence d'à travers les yeux de sa fille. Même l'image de lui ne donnant à voir de lui que sa tête parle, voire clame ce qu'il est en profondeur : un homme ayant perdu la tête.
En continuant dans le cadre des symboles, on peut trouver dans l'amélioration de ses capacités de criminel, conjuguée à la toxicité de la combinaison, une évocation du thème du dopage, que l'on rencontre aussi chez Anthony Romulus, Corey Mills ou plus indirectement Jackson Chappell.
Abordons enfin la tenue que porte Terry McGinnis dans le futur, elle aussi dotée d'un mode invisible, même si apparemment un peu moins performant mais plus discret dans sa mise en route. Cette fonction nous amène à nous demander si Bruce Wayne a gardé un échantillon de la technologie du professeur Carrows, qui l'aurait conduit plus tard à l'intégrer à son nouveau costume. À ce moment-là, deux questions suivent : aurait-il résolu le problème de nocivité et, si non, serait-ce pourquoi Batman II ne reste jamais longtemps invisible?
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