Ni tyran ni exterminateur, le Préservateur s'apparente plus à la catégorie des extraterrestres du DCAU du type Maxima, car comme elle, il chosifie (entre autres) Superman selon son bon vouloir. Mais les similitudes avec la princesse d'Almerac ne passent pas le seuil du tempérament tant elle symbolise le feu et lui le froid. Bien que capable d'expressions émotives, le Préservateur a par conséquent aussi à voir avec Brainiac, le voyageur cosmique sans humanité. En outre, les deux partagent un but, la collection ; le premier les êtres frappés par le déclin, le second les informations propres aux civilisations.
Au jeu des ressemblances, le personnage sort aussi du champ des séries animées, car il suggère une version science-fictionnelle des aristocrates du XVIe et XVIIe siècle payant des fortunes pour se construire des ménageries installant leur puissance. Il provoque également la comparaison avec Noé en étant son pendant cauchemardesque qui ne recherche pas à sauver la diversité animale mais à la maintenir en vie et cloitrée pour son bon plaisir. Et songeons à Yoda, de par sa solitude, son corps miniature, sa télékinésie, sa lévitation, sa voix et son flegme.
Dans le double-épisode Le Motard du cosmos, contrairement aux trublions qui sévissent, il évite tout ridicule et représente ainsi une menace crédible, renforcée également par son aura mystérieuse qui commence dès son entrée dans l'épisode, le montrant vu de dos au premier plan puis sortant de l'ombre au deuxième. Et cette aura ne sera jamais totalement éteinte car il gagne à la fin l'espace infini en emportant avec lui les réponses au sujet de l'étendue de ses pouvoirs et surtout du pourquoi de son obsession. On devine néanmoins qu'il utilise un réseau d'informateurs efficace vu la quantité d'aliens qu'il possède et les connaissances qu'il a obtenues concernant Superman. On s'étonne moins que Lobo n'ait pas de secret pour lui étant donné le soin que prend en toutes circonstances le Czarnien pour se faire remarquer.
À ce propos, les deux extraterrestres sont tout ce qu'il y a de plus différent. Quand Lobo chevauche une moto, inspirant liberté totale et hasard de la vie, le Préservateur habite en toute quiétude dans un imposant édifice et n'a pas l'air d'en sortir souvent puisqu'il donne l'impression de se contenter de sa capacité à le décorer à volonté. Quand le premier cherche le contact (dans tous les sens du terme) à tout prix, le second offre la vision d'un individu courtois mais paternalistement ferme et peu soucieux de socialisation, à cause de ses sbires-robots, ses pouvoirs psychiques et sa propension machiavélique à se servir des autres pour faire les choses à sa place. Quand le premier incarne le rentre-dedans et la jouissance brute et matérielle, le second, asexué et intellectuel, s'élève au sens propre comme au figuré, jouant les purs esprits et contemplant son œuvre. Quand le premier brille par sa bêtise et marche à l'envie immédiatement satisfaite, le second agit en calculateur et manipulateur.
En clair, le premier est tout ce que rejette le second, et cette dichotomie n'en rend que plus jubilatoire le moment où le Préservateur se sent acculé et en vient à verser dans le côté obscur de la lourdeur via sa transformation qui le rend au delà du méconnaissable. Les traits poupins et évoquant un œuf, figure de l'innocence, cèdent la place à un pseudo-diable. Ce dilemme entre esthétisme et recherche de victoire fait beaucoup penser à celui que rencontre, dans Dragon Ball, le personnage Zarbon, bellâtre narcissique, capable de maximiser sa force pour peu qu'il se change en monstre patibulaire, face à Vegeta.
On peut aussi voir cette scène comme la fin pour le Préservateur de sa résistance face à la folie du Motard du cosmos, et le vulgaire objet qui suffit à le pousser définitivement en dehors du vaisseau le fait franchir enfin le pas du grotesque qu'il évitait habilement depuis le début.
Enfin, cette métamorphose est aussi à mettre en parallèle avec l'éclosion du Fils de Krypton, jusque là cantonné aux aventures metropolisiennes, dont seule le débarquement de la kryptonite avait entamé son infaillibilité. En effet, le héros atteint à partir de là un statut cosmique, avec tous les périls que cela annonce. Et même si le Préservateur sort bien vite des écrans radar de la série, il laisse une trace durable à travers la galerie d'aliens que récupère Superman pour sa Forteresse de Solitude, et les conséquences que l'on sait dans le grand final de Batman : La Relève.
Personnage éminemment énigmatique, la question principale qu'il suscite concerne la raison sous-tendant son entreprise. On peut supposer qu'il est lui-même le ou l'un des derniers de son espèce et qu'il a développé une pitié un peu particulière vis-à-vis de ses pairs. Et comment fait-il pour que les animaux en un exemplaire ne périssent pas, tel l'unique dodo ? Puisqu'il a des traits scientifiques, utilise-t-il un procédé de son invention pour cela ? Aux spectateurs d'imaginer les réponses, des plus sérieuses aux plus farfelues.
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