Alfred Pennyworth est un des personnages les plus connus, populaires et appréciés du public, que celui-ci soit néophyte ou véritable inconditionnel des aventures de l'homme chauve-souris, en témoignent les trois récompenses pour lesquelles le personnage fut nommé. Les raisons du succès d'Alfred, particulièrement visibles dans cette continuité, viennent du décalage béant entre l'extérieur qu'il affiche, dont il joue, celui du butler anglais flegmatique à la répartie aiguisée, et ses innombrables talents dissimulés qu'il tire de ses expériences passées au contre-espionnage. Si l'on ajoute à cela ses qualités humaines, on réalise qu'il est un des protagonistes les plus complexes et utiles de l'univers DC. Le résumer à sa fonction de serviteur et à son utilisation en tant que ressort comique, en somme, se fier simplement aux apparences à la façon de Dick dans Le Lion et la Licorne, serait une erreur grossière.
Son rôle de majordome n'est, dans le DCAU, pas vraiment une façade, Bruce Timm dotant Alfred d'un côté maniaque et d'une grande attention pour les tâches domestiques, comme on peut le constater dans Les Enfants de la nuit ou Le Plastiqueur fou. Le DCAU livre le nectar de sa version Post-Crisis, en gommant certains défauts qu'on pourrait trouver dans sa personnalité.
En effet, cet Alfred-ci est pleinement lancé aux côtés de Bruce dans son combat contre le crime. Son support est inconditionnel, et le valet ne viendra quasiment jamais saper la quête de justice de son maître par des regrets superficiels et égoïstes pour une vie rangée et plus ordinaire, comme ont pu le faire ses alter-egos en bandes dessinées et au cinéma. Bien au contraire, Éternelle Jeunesse montre ses réticences claires à quitter le Manoir Wayne pour un monde extérieur qui n'a plus rien à lui apporter. Dépourvu de famille biologique et le destin lui en ayant fourni une de substitution, sa place demeure, jusqu'au crépuscule de sa vie, aux côtés de Bruce Wayne et de Batman, il le sait et l'assume pleinement. En aidant Bruce, il perpétue un combat déjà entamé plusieurs décennies auparavant, tente d'apporter sa pierre sur la route de l'éradication du mal. Comme Bruce, Alfred n'a plus rien à perdre, il a choisi en même temps que lui son destin, pour ne plus jamais regarder en arrière. Il combat le crime par procuration, à travers Batman. Cette attitude a toutefois pu être progressive, Alfred manifestant quelque enthousiasme à l'idée de voir Bruce, à ses tous débuts, se détourner du justicier pour s'engager avec Andrea Beaumont.
A l'aide de l'illusion de Règlement de compte, l'équipe artistique prouve jusqu'où son Alfred serait prêt à aller pour sauver la vie de son maître. On ne manquera également pas de rappeler son échange avec Barbara Gordon dans Blessures anciennes. Derrière le rideau impassible du butler, Alfred dévoile la portée éventuelle de son sacrifice, aller jusqu'à symboliquement endosser l'identité et la responsabilité des actes du chevalier noir, si le secret et la sécurité de Bruce venaient à être mis en péril.
La polyvalence d'Alfred, en tant que tel et au sein du récit, est illustrée par chacune de ses apparitions, de longueur variable. Son humour et sa répartie sont d'emblée dévoilés dans Le Duel et des épisodes comme Morts de rire et Les Enfants de la nuit explorent la drôlerie permise par le personnage. Le voile sera progressivement levé sur ses capacités, héritées de sa jeunesse, à partir des Oubliés du Nouveau Monde jusqu'au point culminant, Le Lion et la Licorne. Maîtrisant la cuisine (Amour on Ice, Vendetta, Bain de boue), la mécanique (Le Loup-garou) la médecine (Sombres Hallucinations, Le Retour de Robin), Alfred est, au-delà du pratique, d'un grand secours sur le plan moral (Épouvantable Épouvantail, Remords), soulageant Bruce lors de crises personnelles et remises en question, ainsi que sur le plan intellectuel (Double Jeu (2), Réalité virtuelle, Bain de boue, Le Ventriloque...), lui donnant la réplique lors de ses réflexions tel un docteur Watson. Il ne lui sert pas pour autant de faire-valoir, cette dernière place étant plutôt laissée à un Robin le plus souvent cabotin. Cependant, en dépit de quelques restes de ses anciennes aptitudes d'agent britannique, son âge avancé, sa constitution physique et sa personnalité le rendent vulnérable, un brin gaffeur, Batman TAS et TNBA ne manquant pas de souligner les risques létaux qu'il prend en se confrontant lui-même aux malandrins.
S'il est, pour toutes ces raisons, considéré comme un père adoptif pour Bruce, lien flagrant pour un Mister Freeze (Coup de froid) qui n'a toutefois pas deviné la force totale de leur lien, Alfred s'avère davantage maternel que paternel. Protecteur, soucieux, bienveillant, il n'a rien de la figure du père distant et autoritaire, objet de peur et de complexe que le fils est amené à dépasser. De ce fait, l'automatisme de la répartie humoristique d'Alfred peut laisser place à une interprétation autre qu'un cynisme général. Il peut en effet être perçu comme un moyen de distance, de défense émotionnelle face aux risques encourus chaque soir par son enfant et son ami, malgré toute la sincérité et l'ampleur du soutien qu'il lui apporte sur son chemin de croix. Exactement comme Batman, Alfred vit en reclus sarcastique, mais il n'est pas que ténèbres, et éprouve une véritable affection pour ses enfants, tourment qu'il exprimera par exemple à la fin de Batman contre le Fantôme Masqué. Il est le grand-père de la Bat-Family, se souciant autant de Dick que de Bruce, image encore renforcée avec l'inclusion de Batgirl au tableau dans TNBA. Alfred avoue même considérer, dans Blessures anciennes, Dick comme son deuxième fils.
Alfred ayant indéfectiblement emprunté le pas de Batman à travers les années et ce, jusqu'à son décès sous-entendu avec pudeur dans Batman : La Relève, sa disparition inévitable est un coup de massue implicite pour Bruce. Déjà psychologiquement miné par son long parcours dans une cité véritablement gangrénée par un mal incurable, Bruce devient inconsciemment, comme tout fils, le reflet, la succession de son propre père. Batman : La Relève l'installe en effet à la place de mentor mais aussi de père protecteur de Terry McGinnis, jusqu'au stade biologique.
La disparition d'Alfred fut graduelle. Extrêmement présent dans Batman TAS, Alfred s'efface légèrement vers la fin de la série et dans TNBA, comme si le pouvoir du temps et de l'assombrissement de Gotham étaient déjà à l'oeuvre. Lorsque la cité asphyxiante de Batman : La Relève s'érige, il quitte pour de bon la scène.
Aucune vie sentimentale ou sexuelle le concernant n'ait évoquée dans le DCAU, sans pour autant rendre le personnage asexué. S'il ne semble éprouver que de la gêne face à une Maggie Page qui en veut clairement plus (le baiser qu'il lui offre peut être un signe de l'influence de la Démétrite), Alfred va souvent de son commentaire sur les diverses créatures féminines, conquêtes ou ennemies, de son maître, seuls indices de ses penchants hétérosexuels au milieu d'un cosme principalement mâle.
Son nom de famille Pennyworth, signifie ironiquement en anglais « qui a la valeur d'un penny ». Tiré de l'époque où Alfred n'était qu'un détective loufoque, ce nom a fini par devenir inversement proportionnel à son pesant d'or dans la mythologie de Batman, et reflète l'écart entre un physique qui ne paie pas de mine, et un individu hors du commun.
Le DCAU lui accorde une ultime occurrence, vers la fin de la La Croisée des étoiles (3) qui est aussi la toute dernière confirmation de sa sagesse, Alfred sachant en quelques phrases panser relativement les blessures d'Hawkgirl en lui manifestant empathie et admiration.
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